WARDRUNA : Rencontre avec Einar Selvik au Hellfest

Wardruna plus j etudie les runes plus je comprends que je ne sais presque rien m383650

Le 17 juin dernier, Wardruna se produisait sur la scène Temple du Hellfest. C’est à cette occasion que nous avons rencontré le chanteur et fondateur de ce projet pour le moins singulier, Einar Selvik.

Morrigan-wth : Alors, tu es invité au Hellfest, d’après toi, pourquoi le public métal apprécie-t-il autant ta musique ?

Einar : Je pense que c’est une combinaison de plein de choses. Pour commencer, la musique métal est très mélodieuse et peut aussi être assez visuelle, et celle de Wardruna est peut-être encore plus mélodieuse et visuelle, donc ça fait en quelque sorte partie du même paysage un peu sombre, et aussi la thématique de Wardruna est une thématique avec laquelle les fans de métal de partout dans le monde sont familiers depuis 20 à 30 ans maintenant, donc je pense que c’est la combinaison de tout ça. Et peut-être aussi parce que tu sais, quand j’ai commencé Wardruna, je voulais vraiment pouvoir écouter ce genre de musique au travers de laquelle quelqu’un aborderait ces thématiques nordiques à sa façon, plutôt qu’en jouant avec une imagerie et des paroles. Je voulais avoir des instruments pertinents, un son, un langage, ce genre de choses, et apparemment il y avait dans le monde des gens qui voulaient entendre la même chose que moi. Par chance.

Morrigan-wth : Il y a quelque chose de très mystique dans ta musique, est-ce que tu as toujours été intéressé par la mythologie et l’ésotérisme en général ?

Einar : Oui, je dirais ça, depuis que je suis enfant je suis fasciné par tout ce qui touche à l’Histoire, et pendant ma jeune adolescente j’ai commencé à creuser le sujet plus en profondeur, et suis devenu très intéressé par l’aspect ésotérique aussi, sur un plan personnel.

Morrigan-wth : Tu insistes aussi beaucoup sur la relation entre la nature et le genre humain, est-ce que c’est un sujet qui te tient particulièrement à coeur ?

Einar : Même si j’enveloppe ma musique dans cette thématique nordique, je dirais que Wardruna, les sujets sur lesquels je chante, ce que j'aborde, est intemporel et universel. Et dans un sens, ça n’a rien à voir avec sublimer le passé ou penser que tout était mieux dans les temps anciens, durant l’âge du bronze ou au temps des vikings, parce que ce n’est pas ce que je pense, mais aujourd’hui je pense que les gens, que nous, en tant qu’espèce, nous nous sommes éloignés de la nature de façon croissante, et dans un sens, on se languit de ça, on se languit de cette connexion avec des choses qui sont plus grandes que nous. Que ce soit quelque chose de religieux, de philosophique, ou juste de naturel, ça n’a vraiment pas d’importance, mais oui, ma musique est définitivement très centrée sur ça. Je pense que c’est la raison pour laquelle des gens de partout dans le monde, peu importe leur âge, leur environnement social ou culturel peuvent s’identifier à cette musique : parce qu’elle est intemporelle, elle est universelle, et elle porte sur beaucoup de choses dont les gens, je pense, manquent à aujourd’hui. Cette connexion avec la nature.

Morrigan-wth : Tu tires ton inspiration de musiques très anciennes, mais il y a aussi quelque chose de très moderne dans ton projet, comment trouves-tu cet équilibre ?

Einar : Oui, pour moi ce n’est pas un but absolu d’être authentique à tout prix. Je ne pense pas que ça rendrait le projet très intéressant, parce qu’il y a beaucoup de choses du passé qui ne sont plus pertinentes pour nous à aujourd’hui, qui ne s’appliquent plus du tout, mais d’un autre côté, il y beaucoup de choses qui sont toujours d’actualité, qui sont tout aussi pertinentes à aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque, et c’est sur ces choses que je me penche. Je ne veux pas simplement transmettre des symboles anciens ou des choses comme ça… et je joue de la musique pour des auditeurs contemporains, pour des oreilles modernes, donc le but n’est pas de fantasmer sur le passé et de copier des choses du passé, mais plutôt de prendre un élément du passé et de faire quelque chose de nouveau avec. Ca veut dire que c’est toujours en vie, donc on n’a pas besoin de fantasmer, parce qu’on y est toujours. Tu sais, les traditions basées sur la nature sont des produits de la nature elle-même, ce qui implique qu’on en est toujours là et qui en fait quelque chose qui reste pertinent. Alors on n’a pas besoin d’idéaliser le passé, on peut se concentrer sur le moment présent et changer les choses à la place, les modeler de la façon qu’on veut. Je pense que c’est un état d’esprit plus sain, du moins c’est mon avis.

Morrigan-wth : Tu dis ne pas être d’accord avec les historiens qui affirment qu’on ne sait presque rien de la musique viking, où trouves-tu des informations à son sujet ?

Einar : Pour commencer, beaucoup de ces gens, les historiens de la musique, sont très confinés dans une petite boîte qu’ils étudient alors que la vieille tradition nordique est beaucoup plus fragmentée, donc tu ne peux pas juste te concentrer sur une boîte, c’est un grand puzzle. Pour approcher ces sujets, tu as besoin d’une vision très globale, qui va au-delà des sources, et ensuite tu dois assembler les pièces du puzzle ensemble bien sûr, c’est une chose… mais étant un passionné d’Histoire, lisant les mêmes choses qu’eux, lisant ensuite leurs hypothèses, et étant également un musicien, j’ai la possibilité d’essayer beaucoup de ces choses sur le terrain. Je peux déterminer très rapidement si leurs hypothèses fonctionnent ou pas, parce que c’est quelque chose d’intemporel. Quand tu es devant une audience par exemple, dans la façon dont les instruments s’assemblent. C’est une chose à laquelle n’importe quel musicien de n’importe quelle période doit se soumettre. On se nourrit de ce qui marche, et devant une audience ce n’est pas un monologue qui suit son cours, c’est un dialogue, quelque chose qui circule. Si ce que je fais ne trouvait pas son écho, j’arrêterais de le faire et je ferais autre chose. Il y a beaucoup d’éléments, c’est un grand puzzle, mais bien sûr c’est intéressant, parce que maintenant beaucoup de gens de la sphère académique sont aussi intéressés par la façon dont j’approche le sujet, j’ai l’occasion de leur en parler et de confronter mes idées aux leurs, donc je pense qu’ils sont aussi intéressés par certaines des choses que je fais.

Morrigan-wth : Je sais que tu as construit certains de tes instruments toi-même, est-ce que ça t’a pris beaucoup de  temps pour tout assembler ?

Einar : Oui, quand j’ai commencé à travailler sur ça… maintenant les gens y portent beaucoup d’intérêt, et il y a beaucoup de gens qui en fabriquent, c’est plus accessible on va dire, mais quand j’ai commencé à travailler sur Wardruna, il y a presque 20 ans, il n’y avait qu’une poignée de personnes en Norvège qui connaissait ces instruments et pouvait m'aider. Donc oui, ça a été un long processus fait de visites de musées et aussi de temps passé à étudier les sources que nous avons, et oui, disons que je devais soit trouver quelqu’un pour les confectionner pour moi, soit les faire moi-même. Ca s’est vraiment fait à tâtons, c’est l’une des raisons pour lesquelles ça m’a pris 7 ans pour composer le premier album, parce que trouver les outils et l’ensemble des choses que je voulais, que j’avais en tête, a pris beaucoup de temps. Mais c’est un processus encore en cours, parce que je me sens toujours comme un novice et je sens que j’ai encore énormément à apprendre… Je ne fais que gratter la surface, avec les éléments de base, ce qui fait que je suis toujours en quête de nouvelles choses. Je trouve que poser des questions et être curieux font partie des capacités les plus importantes qu’un être humain puisse avoir.

Morrigan-wth : Vous utilisez tellement d’instruments et de sons différents, est-ce que c’est un défi pour vous de vous produire sur scène ?

Einar : Oui, les instruments naturels ont leur volonté propre dans le sens où ils sont beaucoup plus fragiles en termes d’hydratation, de températures, etc, donc des fois je fabrique des versions « live » de certains instruments, pour qu’ils fonctionnent dans ce genre d’environnement, du coup je dois modifier un peu les choses quand on doit jouer sur scène, parce que c’est plus délicat.

Morrigan-wth : Où est-ce que tu enregistres tout ça ?

Einar : Dans mon propre studio, et il y a certains des enregistrements que je fais dehors ou dans des endroits pertinents vis-à-vis de ce que j’interprète. Mais j’enregistre tout moi-même, peu importe que ce soit en extérieur ou en intérieur.

Morrigan-wth : Est-ce que tu aimerais voir des artistes d’autres pays reproduire ta démarche, en s’inspirant d’autres mythologies par exemple ?

Einar : Non, ce n’est pas vraiment ce sur quoi je me concentre, je me concentre sur ce que je fais, c’est la seule chose que je puisse faire et je pense qu’il vaut mieux pour tout le monde que je me concentre sur mon projet et que je laisse les autres se concentrer sur le leur. Mais oui, pourquoi pas, je trouve que l’idée d’interpréter les choses d’une façon personnelle est une bonne manière d’aborder les instruments. C’est un défi, mais c’est une bonne façon de le faire. Alors oui, si je peux inspirer des gens à faire la même chose c’est génial, bien sûr.

Morrigan-wth : A quoi peut-on s’attendre dans le futur maintenant que la trilogie Runaljod est complète ?

Einar : C’est difficile pour moi d’être très précis à ce sujet, c’est encore assez secret, il faudrait que je te tue si je te le disais… non, tu sais, il y a tellement de choses que je veux faire avec Wardruna, comme faire évoluer le paysage sonore actuel du groupe, ou encore peut-être explorer le côté plus acoustique, ce qui pourrait être une version plus minimaliste… nous verrons ! 

Hellfest Wardruna

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